dimanche 27 novembre 2011

Morceaux de Ketchup

Je n’ai pas touché à l’album depuis plus de deux semaines. Non par paresse, par découragement ou suite à une panne d’inspiration, mais principalement parce que j’ai consacré la majeure partie de mon temps disponible à réaliser une affiche pour l’exposition Red Ketchup qui se tiendra à Québec en avril prochain, dans le cadre du FBDFQ, pour commémorer les trente ans d’existence du personnage. J’ai le patrimoine plutôt occupé ces jours-ci.

Il serait prématuré de montrer la chose au complet, mais je n’ai pas pu résister à l’envie d’en dévoiler des petits bouts.




mardi 22 novembre 2011

Des Chefs et des Indiens

Au cinéma, c’est toujours le réalisateur qui est considéré comme l’auteur d’un film. L’apport du scénariste n’est certes pas négligeable, mais on s’entend généralement pour dire que, s’il fournit le point de départ, la matière brute, l’essentiel du travail de création est entre les mains du réalisateur. En bande dessinée, par contre, l’usage veut qu’on donne un crédit égal au scénariste et au dessinateur (dans les cas, bien sûr où il s’agit de deux personnes différentes), en accordant même parfois plus d’importance au premier.

Pourtant, la contribution du dessinateur de BD équivaut bien à celle du réalisateur de cinéma, et même davantage. Le dessinateur, assume, en plus de la mise en scène, les responsabilités des prises de vues, cadrages et éclairages, des décors et des costumes. Il doit même se faire comédien et jouer tous les rôles.

Je m’interroge.

Loin de moi l’idée de vouloir minimiser le rôle du scénariste. Après tout, il faut une bonne histoire pour faire une bonne BD. Mais une bonne histoire n’est rien s’il n’y a personne pour lui donner vie. Le dessinateur peut à l’occasion publier un recueil de croquis et d’esquisses, exposer ou vendre des planches originales. Mais qui est intéressé à lire des scénarios ? À la limite, un récit incohérent et mal foutu peut donner quelque chose de valable s’il est traité avec style et imagination. À l’inverse, la meilleure histoire est sans intérêt si elle est mal dessinée. Et quand je dis «bien» ou «mal» dessiner, il faut comprendre que le dessin de BD a ses critères de qualité spécifiques, distincts des Beaux-Arts ou de l’illustration. En BD, un dessin grossier ou maladroit (en apparence) peut être génial, tandis qu’une superbe illustration peut être une mauvaise case de BD si elle ne fait pas le travail.

À propos de travail, il y a une disproportion énorme entre les heures fournies par le dessinateur et celles fournies par le scénariste. Le rapport est variable, mais peut se situer autour de dix contre un. Et pourtant, lorsque vient le temps de répartir les droits d’auteur, les deux reçoivent à peu près autant. La chose pourrait se justifier si le scénariste était le véritable créateur et le dessinateur un simple exécutant. Or, on vient de le voir, il n’en est rien. Il y a bien, parmi les dessinateurs un certain nombre de tâcherons inintéressants, mais pas plus que dans n’importe quelle discipline. Je sais par ailleurs que le mérite artistique ne se mesure pas en nombres d’heures de travail. On peut pondre un chef-d’œuvre en quinze minutes ou bien passer des années à élaborer une merde totale.

Ce ne sont là que quelques réflexions purement gratuites que je lance au hasard. Je peux porter aussi bien le chapeau du scénariste que celui du dessinateur et je n’ai pas l’esprit corporatiste. Je ne revendique rien et, qu’on ne se méprenne pas sur mes intentions, je ne cherche pas par ce moyen à régler quelque litige personnel que ce soit. Si c’était le cas, je ne le ferais pas ici.

jeudi 10 novembre 2011

Bienvenue à Hoboken

Le décor peut lui aussi susciter une émotion. Le paysage que l’on voit ici dans la case finale du chapitre VIII n’est pas ce que j’appellerais idyllique, mais je le trouve particulièrement évocateur.

Il est inspiré d’Hoboken, New Jersey, municipalité portuaire et industrielle de l’agglomération new yorkaise où je n’ai jamais mis les pieds et qui n’est pas mentionnée dans le roman. Comme il s’agit d’une scène de transition, il n’en sera pas question non plus par la suite dans l’album. Le but était simplement de donner une ambiance.

L’image est inspirée d’Hoboken donc, mais inspirée seulement. Comme à mon habitude, elle ne correspond à aucune photo précise, mais est plutôt reconstituée à partir d’un amalgame de documents (pas évident de trouver des images d’Hoboken il y a un siècle, même sur Google). Comme à mon habitude aussi, tout est tracé à main levée.

Pourquoi Hoboken ? Pour l’atmosphère bien sûr, mais surtout à cause du nom : si on l’ampute de la dernière syllabe (comme sur le panneau à droite de la case), on lit le mot «hobo», qui correspond exactement à ce que Karl est devenu.

Les décors dans l’album ne représentent pas tant la grande ville, la mégalopole au centre du monde (à l’exception de la grande case suggérant Wall Street, au chapitre II, voir sur le blog 20 janvier 2009), mais plutôt les faubourgs, la banlieue, morne no man’s land, lieu insaisissable et indéfini entre la ville et la campagne.

L’Amérique recréée par Kafka demeure très européenne. C’est d’ailleurs ce qui fait la singularité des atmosphères décrites dans le roman. La mienne est tirée de mon imaginaire, qui est forcément plus nord-américain.

Il y a une autre différence entre son univers et le mien : l’époque, ou plutôt le point de vue sur l’époque. Le roman a été écrit et se situe vers 1912 ; c’est bien cette période que j’ai cherché à reconstituer, avec beaucoup de documentation et un peu d’imagination. Quelques souvenirs aussi, même si je suis né bien plus tard. Cependant, si cette époque est contemporaine de Kafka, elle ne l’est évidemment pas pour moi. Ce qu’il décrivait comme ultra-moderne revêt pour moi un caractère rétro et passéiste.

J’aurais pu transposer le roman en 2012. C’eût été intéressant, mais ce n’eût plus du tout été la même histoire.

dimanche 6 novembre 2011

Adaptation d'une adaptation

Tout en cherchant au départ à être le plus fidèle possible au récit de Kafka, je me le suis approprié comme s’il s’agissait d’un scénario inédit et non d’une adaptation. De façon à ce que le produit final ressemble à une BD, j’ai mis le texte original de côté pour tout réécrire. J’ai aussi, inévitablement, simplifié et abrégé, sans quoi je me serais retrouvé avec un album de mille pages. Mon but n’est pas de vulgariser l’œuvre de Kafka pour la rendre accessible (elle n’en a pas besoin), mais simplement de réaliser un bon album.

L’idée m’est venue d’effectuer une petite expérience en prenant une courte séquence de la BD et en refaisant en sens inverse le processus d’adaptation, pour lui donner la forme d’un passage de roman. Il y est question d’une rencontre quelque peu stressante avec un agent de police.

Voici ce que ça donne :

L’officier les regarda d’un œil soupçonneux.

- On peut la voir, cette convocation ?

- Tout de suite, monsieur l’agent, répondit Karl sans broncher.

- Je...je ne sais plus où j’ai mis le papier! bredouilla Brunelda.

Désespérée, au bord de la panique, elle se mit à fouiller sous la couverture et dans les replis de sa robe, avec l’aide de Karl.

- Je vous assure, dit ce dernier, qu’il y a bel et bien une convocation et que nous allons la retrouver!

- Bon, ça suffit, pas d’histoires !

L’agent commençait à s’impatienter.

Ce fut Karl qui finit par retrouver le document. Il le tendit au policier.

-Ho ! Ho ! Je vois ... dit ce dernier avec un sourire entendu, en apercevant l’entête de l’Entreprise 25. C’est LÀ que vous conduisez Mademoiselle...

Bon, ça va, circulez, ajouta-t-il d’un ton sec, en indiquant de son bâton le chemin à Karl, qui recouvrit de la couverture la tête de Brunelda et s’éloigna en poussant un soupir de soulagement.

Ce passage diffère évidemment du texte d’origine, que je reproduis ici, pour fins de comparaison (dans la traduction d’Alexandre Vialatte) :

- Montrez donc, Mademoiselle, dit-il, le papier que vous avez reçu.

- Ah ! en effet, dit Brunelda, en se mettant à chercher si désespérément qu’elle n’en parut que plus suspecte.

- La demoiselle, dit l’agent avec une indubitable ironie, ne va pas retrouver le papier.

- Mais si, dit Karl très calmement, elle l’a sûrement, mais elle ne sait plus où.

Il se mit à chercher lui-même et, de fait, le trouva, dans le dos de Brunelda. Le sergent de ville n’y jeta qu’un coup d’œil.

- C’est donc ça ? dit-il en souriant. Voilà donc ce qu’est la demoiselle ! Et c’est vous, petit, qui faites l’intermédiaire et qui assurez le transport ? Vous ne pouvez pas trouver quelque chose de mieux ?

Karl se contenta de hausser les épaules, il faut toujours que la police se mêle de tout.

- Eh bien ! bon voyage, dit l’agent, voyant qu’il ne recevait pas de réponse.

L’expression devait être méprisante, et Karl repartit sans saluer ; mais le mépris, de la part de la police, est préférable à l’attention.

Est-il besoin de le dire, je ne suis pas Kafka.