lundi 31 octobre 2011

Pianiste dans un bordel

Au début du chapitre IX (chapitre ultime de l’album, que j’ai à peine commencé), Karl se présente pour être engagé au Théâtre de la Nature d’Oklahoma. Les candidats à l’embauche sont reçus par un curieux comité d’accueil, constitué de jeunes filles costumées en anges et jouant de la trompette. Il reconnaît parmi elles une bonne amie à lui, répondant au nom de Fanny.

Qui est cette Fanny ? D’où vient-elle ? Son nom n’est jamais mentionné auparavant dans le roman. De deux choses l’une : ou bien il s’agit de Thérèse, la copine de Karl à l’Hôtel Occidental, rebaptisée ici par Kafka (chose plausible, vu que le roman a paru sous une forme inachevée), ou bien il s’agit d’un personnage provenant d’un chapitre antérieur disparu (ou jamais écrit) de L’Amérique.


Après mûre réflexion, j’ai choisi la deuxième option. Je ne pouvais cependant me résoudre à la faire apparaître comme ça, out of the blue, par génération spontanée. Il me fallait implanter le personnage quelque part en amont, ne fût-ce que sur une seule case. Mais où ?

À la page 140, après avoir abandonné Brunelda à l’Entreprise 25, Karl part à l’aventure, décrochant çà et là pour subsister quelques emplois de misère. Dans une case de la version initiale, on voyait Karl travailler à la voirie, où il se faisait attribuer le surnom de «Negro» (surnom qui lui restera et sous lequel il s’engagera plus tard au Théâtre de la Nature). C’est là, juste avant, que j’ai choisi intercaler une case pour placer sa première rencontre avec la Fanny en question.


On y montre Karl jouant du piano dans un bordel minable, faisant ainsi écho à la phrase célèbre de Jacques Séguéla : «Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité, elle me croit pianiste dans un bordel». Les médiocres talents pianistiques de Karl Rossmann avaient déjà été évoqués plus tôt dans l’album. C’est dans ce bordel qu’il fera la connaissance de Fanny. Elle n’est pas nommée alors, mais je lui ai donné une physionomie reconnaissable.

Le recyclage de la prostituée en ange me paraissait une idée charmante.


Évidemment, l’ajout d’une case m’a obligé à modifier quelque peu la mise en page initialement prévue.

vendredi 21 octobre 2011

New York, sous la neige

Même si la métropole américaine peut recevoir à l’occasion une bonne bordée de neige, il faut bien reconnaître que le paysage hivernal que j’ai dessiné ici a des réminiscences plutôt montréalaises. Normal, puisque je suis Montréalais de naissance.

Quelle importance d’ailleurs ? Après tout, le New York imaginé par Kafka dans son roman rappelle Prague plus qu’autre chose.

vendredi 7 octobre 2011

Des Adieux pathétiques

De grosse vache qu’elle était, Brunelda est devenue encore plus grosse, mais beaucoup moins vache. J’ai l’impression d’avoir réussi à rendre attachant ce personnage au départ grotesque et antipathique. Enfin, le lecteur pourra en juger lorsqu’il aura entre les mains l’album terminé. Les personnages sont plus intéressants lorsqu’ils ne font pas exactement ce qu’on attend d’eux. Je crois aussi que la caricature la plus acerbe, la plus cruelle, doit toujours comporter une part de tendresse. Toujours.

En tout cas, moi, je me suis attaché à cette Brunelda et c’est même avec une certaine émotion que j’ai dessiné sa sortie de scène. On se souviendra peut-être que Karl, à bout de ressources, ne pouvant plus prendre soin de Brunelda impotente, a dû se résoudre à la placer dans un inquiétant hospice appelé Entreprise 25.

On lui remet en échange une petite somme d’argent (trente deniers ?), qu’il refuse tout d’abord, puis finit par accepter, sous l’insistance de Brunelda, qui se sacrifie ainsi pour qu’il puisse reprendre sa liberté et avoir une chance de vivre sa vie.

Brunelda est un personnage pathétique, au sens noble du terme.

J’ai cherché à communiquer dans cette ultime apparition de Brunelda une émotion semblable à celle de l’Orpheline de Delacroix. Chose pas évidente : son modèle à lui ne pesait pas 400 livres.