vendredi 6 février 2009

Chapitre IV: Sur la Route de Ramsès

Alors que le précédent chapitre était une sorte de comédie noire à huis clos, on a ici une sorte de « road movie » (le titre pourrait faire penser aux films avec Bob Hope et Bing Crosby, mais c’est sûrement une coïncidence). Le changement est assez radical et, à part Karl, les personnages du début ne réapparaîtront plus.

En exil pour une deuxième fois, Karl erre de nuit dans la campagne, avec son habit de soirée, sa casquette, sa malle et son parapluie. Il aboutit dans un hôtel miteux, où il demande la chambre la moins chère. On lui donne une chambre déjà occupée par deux inconnus qui dorment à poings fermés. Méfiant, Karl essaie de lutter contre le sommeil, mais la fatigue finit par être la plus forte.

À son réveil, Karl fait la connaissance de ses compagnons de chambre, qui sont deux vagabonds parcourant les routes en quête de travail, le Français Delamarche et l’Irlandais Robinson. Il s’agit en fait de deux fripouilles, qui rappellent un peu le renard et le chat dans Pinocchio. Ils prendront une place importante dans la suite du récit.


Karl nourrit quelques préjugés à l’endroit des Irlandais, mais, des deux, Robinson est le moins menaçant. C’est au fond un pauvre type, plus bête que méchant, ivrogne et braillard.


Avec son visage élastique, ses grandes oreilles, sa tête ébouriffée, son accoutrement clownesque et son absence totale de dignité, je le trouve particulièrement intéressant à dessiner.

Les deux compères n’ont strictement rien : ils voyagent sans bagages et leurs dernières économies ont servi à payer la chambre. Karl n’est guère plus riche, mais possède tout de même, outre son habit de soirée, un peu d’argent pour tenir quelques jours et, dans sa malle, quelques vêtements, un saucisson (cadeau d’adieu de sa mère) ainsi que quelques effets personnels, dont la photo de ses parents, qui est son bien le plus précieux.

Delamarche et Robinson lui proposent de se joindre à eux, dans le but évident de profiter de sa naïveté. Ils commencent par le dépouiller de son beau costume, qu’ils vendront pour une somme dérisoire, sous prétexte que ce n’est pas une tenue appropriée pour chercher du travail.


«...ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort, afin que s’accomplisse ce qui avait été annoncé par le prophète : ils se sont partagé mes vêtements et ils ont tiré au sort ma tunique.»

Mathieu XXVII, 35


Tôt le matin, les trois compagnons prennent la route, à pied.


Il m’a fallu imaginer à quoi pouvait ressembler l’heure de pointe à l’époque. Il n’y avait bien sûr pas encore d’autoroutes. Un œil averti remarquera sans doute que, d’une case à l’autre, le camion transportant du bétail s’est transformé en camion d’ouvriers. C’est hautement symbolique ...


Le contremaître offre au trio de se joindre à l’équipe, proposition aussitôt rejetée par Delamarche et Robinson, à cause de la mauvaise réputation de la compagnie, compagnie qui, comme par hasard, appartient à l’oncle de Karl.

Ils poursuivent donc leur route. Les deux larrons continuent de profiter honteusement de Karl, dévorant sans lui laisser une miette le saucisson que lui avait donné sa mère. Plus loin, s’étant arrêtés dans un casse-croûte, ils lui refilent l’addition. Karl a beau être bonasse, il finit par en avoir assez.


Cette scène mélange la géographie réelle à la géographie imaginaire de Kafka. Sur le panneau indicateur, les noms de lieux fictifs de Ramsès et de Butterford s’ajoutent à des noms réels. On pourrait s’amuser à essayer de chercher sur une carte où se trouve exactement le carrefour représenté ici. À l’arrière-plan, on aperçoit un panorama lointain de la ville de New York, réunie par un pont à ce qui pourrait être Brooklyn. Sauf que, dans la longue description qu’on trouve dans le roman, le pont en question réunirait New York et ... Boston. Ailleurs, Kafka situe San Francisco sur la côte Est. Ces petites invraisemblances n’apparaissent cependant pas dans la traduction française.


Delamarche et Robinson parviennent à convaincre Karl de continuer avec eux. Le soir venu, ils s’arrêtent en face d’un grand hôtel.

L’hôtel est visiblement au-dessus de leurs moyens, mais Delamarche y délègue Karl pour acheter quelques provisions, plus précisément «du pain, du lard et de la bière», phrase que Karl se répète comme un mantra pour ne pas l’oublier en descendant vers l’hôtel. Quand il arrive à la salle à manger, les choses se compliquent. C’est la cohue et Karl, ignorant des manières américaines et peu doué dans l’art de jouer du coude, n’arrive absolument pas, malgré ses efforts désespérés, à se faire servir.


Hasard providentiel, il est remarqué par une dame fort aimable qui vient à son secours. La dame, qui est la cuisinière en chef de l’hôtel, l’emmène à la réserve et lui prépare un petit panier avec le pain, le lard et la bière.


La cuisinière offre également à Karl de passer la nuit à l’hôtel. Karl doit décliner l’invitation parce que ses deux compagnons l’attendent. Il ne peut pas non plus les emmener avec lui, parce qu’ils ne sont guère présentables.

Karl repart donc avec le panier rejoindre Delamarche et Robinson, pour constater que ces derniers se sont permis de forcer la serrure de sa malle, dans l’espoir d’y trouver quelque chose à manger, et ont tout dispersé dans l’herbe. C’en est trop pour Karl, qui annonce aux deux hommes qu’il met fin à son association avec eux. Ceux-ci le prennent mal et une dispute éclate. Ils sont sur le point d’en venir aux coups, lorsqu’apparaît un employé de l’hôtel, envoyé par la cuisinière en chef.


Ligne claire oblige, les effets d’éclairage et de clair-obscur ne sont pas ma spécialité, mais je ne suis pas mécontent de celui-là. L’expression des visages éblouis par la lumière y est pour beaucoup.


Karl remet le panier à l’employé et lui dit qu’il accepte finalement l’offre de la cuisinière de passer la nuit à l’hôtel, mais sans ses compagnons. En ramassant ses affaires, il ne trouve nulle trace de la photo de ses parents, photo qui, on l’a vu, lui tient extrêmement à cœur. Il demande à Delamarche et à Robinson où elle est passée, mais ceux-ci prétendent ne pas l’avoir vue. Il insiste et offre même de leur donner tout le contenu de sa malle en échange de la photo. Comme ils ne répondent rien, Karl entreprend de les fouiller, avec l’aide de l’employé.


À la lecture du roman, on peut trouver invraisemblable que Delamarche et Robinson n’opposent pas plus de résistance à la fouille. C’est pour cette raison que j’ai donné à l’employé un physique imposant d’ailier défensif, qui le rend plus intimidant aux yeux des deux hommes.


Peine perdue, la photo reste introuvable. Karl quitte donc ses camarades et se dirige vers l’Hôtel Occidental, où une nouvelle vie l’attend.